La chasse et l'amour fraternel

 

Selon une légende mauresque

    C'était sous le règne de Boabdil, dernier roi maure de Grenade. Dans la campagne entourant la ville vivaient dans une pauvre chaumière deux orphelins, Micaëla, âgée de seize ans, et son frère Benito, de deux ans plus jeune. Tous deux s'aimaient tendrement et malgré leur pauvreté se trouvaient contents de leur sort.

Mais voici qu'un jour, les habitants de la Véga de Grenada, où habitaient le frère et la soeur, se révoltèrent. Boabdil envoya des troupes pour les châtier; les mutins résistèrent et une lutte sanglante s'engagea.

Les troupes du roi furent victorieuses et se retirèrent emmenant des prisonniers et des prisonnières, parmi lesquelles se trouvait Micaëla.

Son frère désespéré la suivit, mais les soldats le frappèrent si rudement du pommeau de leur sabre qu'il tomba à terre, privé de connaissance. Quand il reprit ses sens, il n'eut qu'une idée : sauver sa soeur, et pour cela il résolut d'aller demander justice au roi.

Suivant l'usage des princes musulmans, Boabdil donnait des audiences publiques dans son palais de l'Alhambra et il écoutait les plaintes et réclamations de tous ses sujets pauvres ou riches. Malgré cela, ce n'était pas facile au peuple d'approcher, car les grands seigneurs s'arrangeaient toujours de façon à se mettre au premier rang pour être les seuls écoutés.

Cependant Benito, arrivé à la cour d'honneur, usa de tant de patience et de persévérance qu'il réussit à se faufiler au premier rang.

Quand il fut en face du balcon où se tenait le roi, il leva le bras en l'air en criant de toutes ses forces :

- Justice, seigneur, justice! Boabdil l'entendit et se penchant, vers lui :

- Qui es-tu et que veux-tu?

- Je me nomme Benito et je réclame ma soeur Micaëla que vos soldats ont enlevée, seigneur.

- Elle avait trempé dans la révolte, dit sévèrement le roi.

- Je vous jure que non, sire. Elle n'a que seize ans et elle est complètement innocente.

Boadbil ne se trompa pas à cet accent de vérité; mais il voulut sans doute éprouver le courage et l'amour fraternel du jeune garçon et une idée étrange lui passa par la tête.

Trois jours plus tard, il donnait un grand festin, et pour la table royale il manquait un sanglier que le maître d'hôtel n'avait pu se procurer.

- Ecoute, petit, dit Boabdil à Benito, je vais t'offrir un moyen de racheter ta soeur : si d'ici trois jours tu m'apportes un sanglier mort ou vif, tué ou capturé par toi, ta soeur te sera rendue.

Je t'en donne ma parole de roi.

Benito resta tout d'abord interdit, mais se ressaisissant promptement :

-Merci, seigneur, dit-il, j'y tâcherai.

Et ayant salué le roi, il s'éloigna et regagna sa chaumière.

Là, pendue au mur depuis bien des années, il y avait une vieille arquebuse rouillée qui avait appartenu à son père. Il la prit, l'astiqua de son mieux, tira quelques coups pour se faire la main, puis, la jetant sur son épaule, il gagna la forêt voisine et atteignit une vaste clairière au centre de laquelle se trouvait un étang.

Il savait que c'était là que venaient boire les fauves et certainement il y aurait des sangliers parmi eux.

Il s'embusqua derrière un gros chêne et attendit. Son attente se prolongea plusieurs heures. Enfin, il entendit un bruit de branches froissées et vit paraître deux sangliers qui marchaient l'un derrière l'autre.

Benito visa et fit feu; son coup fut suivi d'un grognement de douleur; un des deux animaux s'enfuit au galop, laissant des traces de sang derrière lui, tandis que l'autre demeurait debout et immobile.

Le jeune chasseur, croyant que ce dernier allait fondre sur lui et n'ayant pas le temps de recharger son arme, se hâta de grimper dans l'arbre qui lui servait d'abri et attendit.

A sa grande stupéfaction, le sanglier ne bougea pas.

Au bout de dix minutes, Benito, le voyant conserver son immobilité complète, descendit de l'arbre et s'approcha doucement de l'animal qui ne parut pas le voir. Le jeune garçon s'aperçut alors que celui-ci était aveugle et tenait entre ses dents la queue d'une laie qui avait l'habitude de le conduire à travers la forêt.

Le coup de feu de Benito avait coupé cette queue; la laie s'était enfuie et le malheureux sanglier, ignorant ce qui s'était passé et incapable de se conduire seul, gardait le bout de la queue entre ses dents.

Benito comprit tout le parti qu'il pouvait tirer de la situation; il saisit le bout de queue et y imprima un légère secousse.

Le pauvre sanglier, croyant suivre sa compagne, se mit en marche.

L'un suivant l'autre, ils sortirent de la forêt et se rendirent à l'Alhambra, escortés d'une foule qui grossissait de minute en minute.

La nouvelle de cette capture merveilleuse se répandit promptement dans le palais. Boabdil accourut à son balcon.

- Seigneur, dit simplement Benito, voici le sanglier.

Micaëla lui fut immédiatement rendue.

On fit grâce de la vie au sanglier aveugle qui reçut une hospitalité royale dans les écuries du palais où il termina ses jours.

Plus tard, Benito entra au service du roi Ferdinand d'Aragon, quand celui-ci eut conquis Grenade; il gagna des titres de noblesse sur le champ de bataille et fut autorisé à placer un sanglier dans ses armes.

Histoire relevée dans l'ALMANACH DU CHASSEUR 1936-1937 .

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Mise à jour le 29/06/11